À l’ombre de la Tour Barberousse et bordé par les eaux paisibles de la Méditerranée, le port de Gruissan s’impose aujourd’hui comme l’un des moteurs de l’identité et du développement de la ville. Mais derrière les quais animés et les voiliers bercés par le clapotis des vagues, se cache une histoire séculaire, façonnée par la mer, le sel et les hommes. Retour sur l’évolution d’un site qui a su, en quelques décennies, passer d’un simple point de mouillage à un port de plaisance d’envergure, sans jamais trahir ses racines.
Un village tourné vers la mer depuis le Moyen Âge
Bien avant que les yachts ne fassent escale à Gruissan, ce petit bourg côtier s’est développé au fil des siècles grâce à une activité essentielle : la pêche artisanale. Installé à l’origine en amphithéâtre autour d’un promontoire rocheux surmonté de la Tour Barberousse, vestige d’un ancien château du Xe siècle, le village médiéval profitait d’une situation stratégique. Cette configuration permettait non seulement de surveiller la côte, mais aussi de se prémunir des incursions ennemies.
Les barques catalanes des pêcheurs accostaient alors sur les plages ou dans des chenaux naturels, à défaut de port véritablement aménagé. Poissons, crustacés et coquillages constituaient la base de l’économie locale, avec des techniques de pêche transmises de génération en génération. Les pêcheurs gruisanais, en lien étroit avec les marins de Sète, d’Agde ou du Grau-du-Roi, vivaient au rythme des marées, du vent et des saisons.
Du sel et des échanges côtiers : les premières navigations commerciales
Outre la pêche, l’exploitation du sel a longtemps joué un rôle clé dans le développement de Gruissan. Les salins, toujours visibles et exploités aujourd’hui, étaient déjà actifs sous l’Ancien Régime. Le sel, denrée précieuse, était transporté par voie terrestre mais aussi maritime. C’est à cette époque que se développent les premiers petits ports rudimentaires, simples cales d’embarquement aménagées le long des étangs ou dans les lagunes.
Ces activités commerciales restaient modestes mais régulières, et Gruissan apparaissait alors comme un petit port d’échange local, à mi-chemin entre la mer et l’arrière-pays narbonnais.
Années 1970 : la métamorphose impulsée par la mission Racine
Le tournant décisif de l’histoire du port intervient dans les années 1970, dans le contexte de l’aménagement touristique du littoral méditerranéen français. Face à une croissance démographique rapide et au besoin de structurer le tourisme balnéaire, l’État crée en 1963 la mission Racine, dirigée par le haut fonctionnaire Pierre Racine.
Son objectif : concevoir des stations balnéaires intégrées et harmonieuses, en évitant les erreurs de l’urbanisation sauvage. Gruissan est sélectionnée pour accueillir un port de plaisance qui respecterait l’environnement et s’inscrirait dans une logique de développement local maîtrisé.
Les travaux débutent dans les années 1970. Le port moderne est creusé, les quais aménagés, les infrastructures bâties. Le vieux village, lui, est préservé. Le pari est audacieux : transformer un site naturel en un espace touristique attractif sans le dénaturer. Le port de plaisance de Gruissan est inauguré dans les années 1980 et devient rapidement un point de repère majeur sur la côte languedocienne.
Un port d’aujourd’hui : entre nautisme, vie locale et écologie
Quarante ans plus tard, le port s’est imposé comme le cœur battant de la commune. Avec environ 1300 anneaux répartis entre résidents et plaisanciers de passage, il figure parmi les plus importants de la région. Autour du bassin principal, restaurants, glaciers, boutiques, galeries et bars offrent une vie nocturne animée, surtout en saison estivale.
Le port est aussi un haut lieu du nautisme : école de voile, jet-ski, plongée, balades en mer, pêche sportive… Il accueille également des événements majeurs, comme les Défis Wind, le plus grand rassemblement mondial de windsurf qui se déroule chaque année à Gruissan-Plage.
Mais cette modernité n’oublie pas la tradition : quelques pêcheurs professionnels poursuivent leur activité, tandis que la vente directe de poissons et de coquillages rappelle l’histoire vivante du port. Le lien avec les salins demeure aussi très fort, notamment via la promotion du sel artisanal local.
Vers un futur durable : un port labellisé et responsable
Engagé dans une politique environnementale volontariste, le port de Gruissan est aujourd’hui labellisé « Port Propre », gage de sa gestion écologique. Des actions concrètes sont menées pour limiter la pollution, recycler les déchets, traiter les eaux de carénage et préserver les herbiers de posidonie.
En parallèle, des projets d’aménagement durable sont à l’étude pour favoriser les mobilités douces, renforcer les énergies renouvelables et préserver la biodiversité des milieux lagunaires.
Une histoire qui continue de s’écrire
De la barque catalane au catamaran solaire, le port de Gruissan incarne la cohabitation réussie entre patrimoine et modernité. Lieu de mémoire, de vie et de renouveau, il reste profondément ancré dans l’ADN de la commune. Plus qu’un simple point d’amarrage, il est aujourd’hui le cœur vivant d’une ville qui regarde la mer, sans jamais tourner le dos à son histoire.